Maurice ESTEVE

(1904 - 2001)

Sa présence en Berry, dans le Cher est presque due au hasard, sa mère était simplement venue le mettre au monde chez ses beaux-parents, elle était surtout préoccupée de poursuivre son métier de modéliste à Paris, dans la Haute Couture. Alors, Estève sera élevé par ses Grands-Parents paternels à Culan. Il a une enfance de petit paysan berrichon, on dit qu'il dessinait à l'âge de 8 ans, assis sur le carrelage de la pièce principale. Il écrira plus tard, se rappelant de son enfance : "Dès que j'avais un moment libre, et souvent même plutôt que de jouer avec mes petits camarades, je m'enfermais pour dessiner". Estève va vouer à ses grands parents une véritable vénération, en particulier pour sa grand-mère qui était d'une grande sensibilité. Au cours d'un voyage à Paris, il n'a pas dix ans et il découvre le Musée du Louvre, petit enfant, il est attiré par Chardin, Corot et Courbet. Estève raconte encore : "Je me souviens même qu'à Culan avant mes neuf ans, au sortir d'une maladie d'enfance, lorsque après un mois de chambre je fis ma première sortie à la naissance d'un printemps très beau et très doux, en franchissant le petit pont sur la rivière, j'eus comme une illumination. Je découvris le merveilleux : la lumière, les champs, les fleurs. Tout concourait à me mettre dans un état d'intense émotion devant la beauté véritable". Il vient à Paris retrouver ses parents en 1913, mais la guerre arrive et il la passe à Culan qu'il quitte seulement à 14 ans, en 1918. Ses parents le reçoivent à Paris, c'est un milieu peu ordinaire que ce petit paysan découvre, d'un côté les coulisses de la riche haute couture avec sa mère, d'un autre côté, ce sont les meetings syndicaux qu'il fréquente avec son père. C'est à l'âge de 11 ans qu'Estève commence à peindre. Mais tout ne se passe pas facilement. Son père veut en faire un ouvrier typographe, il va combattre la vocation du jeune Maurice. "Je voulais continuer mes études, mon père y était hostile", alors, la vie "de famille" devenant intenable, Estève quitte Paris, en 1923 à 19 ans, il s'en va à Barcelone pour diriger un atelier de dessins et de châles. De retour à Paris après un an en Espagne, il se remet à peindre, et pour vivre, il fait des petits boulots. A partir de 1930, Estève s'installe dans un vrai atelier de peintre, Porte de Vanves. Il propose à cette époque, 25 toiles à la galerie Yvangot : aucun succès. L'exposition suivante se déroulera seulement 18 ans plus tard. Toujours dans ces années 1930, il travaille sur le thème du couple, ce sera Le Grand Couple, mais aussi les fiancés du jour de l'an et enfin Le couple sombre. Ces toiles sont prémonitoires de son œuvre future, on retrouve déjà les tons purs d'un éclat parfois insoutenable, des rouges intenses, de l'outremer et du jaune citron. L'harmonie est parfaite et déjà une tendance vers l'abstraction apparaît. En 1929, Estève a 25 ans, il vit à Paris, il subit les influences des grands mouvements de la peinture du XXème siècle, il flirte même avec les surréalistes, mais il cherche son style. Parfois, dans une toile, on trouve ce qui sera la pièce maîtresse de toute son œuvre. C'est à partir de 1930 qu'il commence à abandonner tout modèle, dans son atelier de la rue de Vanves, il peut enfin faire des toiles de toute dimension. Pour Dorival, il y a dans cette période, "la volonté de l'artiste de repenser le monde en termes de plastique pure". En 1936, il est traumatisé comme l'ensemble des intellectuels, par le drame de l'Espagne, c'est une des rares périodes où il fait éclater son sentiment sur l'injustice et les inégalités de la Société, on ne retrouvera guère ce cri dans le reste de son œuvre. C'est l'époque des difficultés financières, il ne peut pas s'acheter facilement ses toiles et ses tubes de couleurs, il en est réduit à réutiliser des toiles peintes auparavant. "Dès que j'avais un peu d'argent, je peignais, lorsqu je n'avais plus rien, je cherchais un modeste gagne pain. Cela dura jusqu'en 1939."
Pendant la guerre, Estève continue à peindre, il réalise en particulier de nombreuses esquisses qu'il espère pouvoir finaliser plus tard. A l'initiative de Bazaine, une exposition est organisée à Paris sous l'occupation, ce sont, je cite : "De jeunes peintres de tradition française". Il faut dire que l'Art est difficile à faire de manière libre. Picasso est en sommeil, et pendant toute la période nazie, l'abstraction est tout simplement interdite. C'est aussi l'arrivée de la nouvelle génération des peintres avec Lapicque, Manessier, Tal Coat et bien sûr Estève. Pour eux, c'est l'attachement aux leçons constructrices du cubisme et son goût pour la couleur héritée de Matisse et Bonnard. Ils se tournent vers l'abstraction sans refuser la réalité. Estève commence à vivre de sa peinture, vers 1947 il va vers l'abstrait, il dira lui-même : "Je veux fixer à 1944 le début de mon évolution "rectiligne"… j'ai l'impression de partir en voyage dans un monde inconnu." Avec d'autres jeunes peintres, ils ont alors un peu plus de 40 ans, ils sont attachés à la sensibilité picturale humaniste. Il y a Bazaine, Pignon, Manessier : ce sont les espoirs de demain ! Cette Ecole de Paris occupe des positions avancées, la notoriété d'Estève s'affirme. Il expose beaucoup en particulier dans les pays du nord de l'Europe, qui semblent aimer les teintes chaudes du peintre, ce jaune qui est dans la plupart de ses toiles. Estève touche à d'autres formes picturales, comme l'aquarelle, et il se tourne aussi vers la tapisserie. Il y aura deux grands moments dans cette période, le premier, c'est la grande Exposition en Octobre 1986 au Grand Palais à Paris, il y avait là, François Léotard, Jak Lang et Jacques Rimbault… pour le vernissage, ils entouraient un des grands peintres contemporains. Le second, c'est l'ouverture du Musée Estève à Bourges, dans cet hôtel c'était le 19 décembre 1987. Dans ce magnifique musée, ouvert au public, il y a des dizaines de toiles d'Estève, des tapisseries et autres papiers collés, c'est la chance de Bourges de disposer d'une telle richesse.

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