Georges ROUAULT

(1871 - 1958)

"La peinture est pour moi un moyen d'oublier la vie" s'écria un jour Georges Rouault.

Ce farouche solitaire n'avait connu que les aspects les plus durs de la vie : la tristesse des quartiers pauvres, la douleur, la fatigue. Il naquit dans une cave le 27 mai 1871 au son du canon de la commune. L'idée qu'il devait se faire par la suite des circonstances de sa propre naissance ne pouvait que marquer sa vision du monde, à jamais dramatique et éclairer d'un jour particulier le sens de sa destinée : "Je crois(…), au milieu des massacres, des incendies et des épouvantements, avoir, de la cave où je suis né, gardé dans les yeux et dans l'esprit la matière fugitive que le bon feu fixe et incruste" (lettre à Suarès, 1913).

A 14 ans, il devint apprenti chez un peintre de vitraux où il apprit à apprécier les teintes brillantes accrues par le ruban de plomb qui cerclait les couleurs.

A 20 ans, Georges s'inscrit à l'école des Beaux-Arts et devint un des élèves les plus appréciés de Gustave Moreau. D'ailleurs ce grand professeur qui eut aussi Matisse pour élève aida et encouragea Rouault. De l'enseignement de Gustave Moreau se dégageaient deux grands principes : sincérité de l'expression - contre les poncifs de l'art académique, "richesse nécessaire" de la couleur et de la matière. Le premier était pour ainsi dire, inhérent à la personnalité de Rouault qui le prouva dès l'Ecole des Beaux-Arts (et l'on sait la douleur que lui causa, en 1930, l'implacable jugement du critique Camille Mauclair : "Sous l'épileptique, on sent le chiqué").

Georges Rouault comprit à la mort de son professeur en 1898 à quel point la solitude pouvait être accablante. Cette disparition ouvrit pour l'artiste une période de crise, morale et physique à la fois, durant laquelle il se tourna résolument vers l'art moderne (Toulouse-Lautrec, Cézanne) ; puis vers 1901, sa "conversation" au Christ-quoique baptisé, il n'avait pas reçu d'instruction religieuse-qui l'amena à se lier d'amitié avec des écrivains chrétiens en renom, Huysmans et Léon Bloy, dont l'influence devait en partie décider de son évolution ultérieure. Dans les années 1910 à Paris, en matière de peinture religieuse c'est le désert. Rien depuis le "Christ aux anges" et la "flagellation" peints par Manet il y a 40 ans ! Défiant un siècle à son goût trop libéral, Rouault témoigne d'une foi qui tirera de plus en plus vers le jansénisme. Il laisse tomber son habit de justicier pour se consacrer aux thèmes de la mort, de la vie et de la passion du Christ. Contrairement à Rembrandt qui se représentait comme acteur dans les scènes du Nouveau Testament, le peintre vivra désormais la religion directement par l'intermédiaire de son double, celui qui souffre et se sacrifie pour l'humanité le Christ.

Il trouva l'inspiration dans les sujets les plus mystiques ou les plus humbles. La figure du Christ qu'il exécuta un nombre incalculable de fois s'ajouta l'image de clowns et saltimbanques vivant en marge de la société. A travers des thèmes tels que les Filles, les Fugitifs, les Clowns, les Bourgeois et autres Têtes à massacre, il exprima son indignation douloureuse face à la déchéance humaine, et la colère que lui inspirèrent l'hypocrisie, l'injustice et la bassesse d'existences que n'éclaire aucune vie spirituelle. Au début, les couleurs de ses tableaux étaient sombres et ténébreuses. Au cours des premières expositions auxquelles Rouault prit part, des critiques le traitèrent ironiquement de "fumiste". Peu à peu, l'artiste peignit par "taches brillantes qu'il appliquait sur la toile en couches superposées, obtenant ainsi des rapprochements précieux. Un épis trait noir cernait les figures, faisant mieux ressortir la splendeur des coloris. Tel était le secret que les maîtres des verrières anciennes avaient légué à Rouault." Malheur de l'homme sans Dieu" Cette formule célèbre de Pascal aurait pu résumer sa conception de la vie. C'était en fait l'homme déchu et misérable que suscitaient se pinceaux, un homme en proie à la férocité de la vie, à la rigueur du destin de la Société. Georges Rouault s'en prit avec violence à l'égoïsme, la suffisance, l'orgueil, la cruauté, le pharisaisme des riches et les montra imbus de leur personne, obscènes, répugnants. Georges Rouault dressa contre la Société athée un réquisitoire aussi implacable que le procès qu'il intenta à la justice humaine, lorsqu'il montra les juges grotesques. A mesure qu'il vieillissait, les visages de ses personnages perdaient leur air sombre et désespéré pour acquérir une expression plus sereine, paisible, résignée. Il peignit ainsi, 800 tableaux qui étaient par contrat spécial aux mains d'un seul marchand. Dés la fin de la deuxième guerre mondiale, à 77 ans, Rouault fit un inventaire de son œuvre et considéra que certains de ses tableaux étaient imparfaits ; il n'avait plus le temps de les retoucher ou de les refaire. Il obtint du tribunal la restitution des tableaux au terme du retentissant procès qui, de 1939 à 1947, l'opposa aux héritiers de son marchand, Ambroise Vollard. Ayant obtenu gain de cause, Rouault brûla 300 peintures inachevées qui venaient de lui être restituées, voulant signifier par là l'absolue liberté de l'artiste face à son œuvre et l'éminente dignité de la création. Ainsi, fidèle à lui-même et à son art, Georges Rouault, réduisit en fumée 300 tableaux évalués de nos jours à plus d'un demi-milliard de francs.

"J'ai vu clairement, a t-il écrit, que le "pitre" c'était moi, c'était nous…Cet habit riche et pailleté, c'est la vie qui nous le donne… Mais si on nous surprend comme j'ai surpris le vieux pitre, oh alors, qui osera dire qu'il n'est pas pris jusqu'au fond des entrailles par une incommensurable pitié. J'ai le défaut de ne jamais laisser à personne son habit pailleté. Fût-il Roi ou Empereur, l'homme que j'ai devant moi ; c'est son âme que je veux voir". De là cette suite de clowns tragiques, dont le regard chargé de douleur et d'amour est celui-là même de l'homme qui, souffrant, implore, espère quand même et AIME malgré tout. Le vitrail, qui fut au Moyen Age une parabole commode illustrant le verbe divin, la lumière traversant le verre, Rouault le connaissait bien : en 1885, il suivait les cours du soir à l'Ecole des Arts décoratifs. La journée, il la passait comme apprenti chez le verrier Tramoni, puis chez Hirsch où il apprit à restaurer des vitraux anciens. Si ceux d'Assy furent réalisés par Paul Bony, des ateliers Hébert-Stevens, Rouault en surveillait de près l'exécution, comme le rapporte le Père Couturier dans ses "Mémoires", relatant une visite qu'il lui fît le 22 mars 1949 ; Rouault fait une critique très précise et très gentille du travail de Bony : "On dit que je suis un coloriste, mais je suis très exigeant pour la forme, je suis terrible pour la forme… "Ainsi, il apporta aux vitraux cette apothéose pour un artiste chrétien, toute l'attention qu'il donnait dans le secret de son atelier à ses tableaux : le vitrail, dont il disait dans le secret de son atelier à ses tableaux : le vitrail, dont il disait que, s'il était resté beau comme au Moyen Age, lui, Rouault, ne serait peut-être pas devenu peintre.

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