Zao WOU-KI

(né en 1920)

1948 : Arrivée à Paris
1981 : Rétrospective au Grand Palais
1994 : Lauréat du Premium Imperiale, remis par l'empereur du Japon
2003 : Rétrospective au Jeu de paume

En marchant dans l'atelier, Zao WOU-KI s'aperçoit qu'une brosse n'a pas été nettoyée depuis la dernière journée de travail. Rangée sous un établi constellé de taches, elle baigne dans un bac de couleur rouge rosé, la couleur sanguine qui couvre, pour l'instant, les deux tiers d'un triptyque commençé quelques jours auparavant.

Il entreprend aussitôt de la nettoyer. Interrompant la conversation, il remplit l'évier d'eau chaude, y verse de la poudre à laver, y trempe la brosse en l'appuyant contre le fond pour y faire sortir la couleur. Des gouttes rouges tachent son visage et sa blouse blanche de chimiste. Tout en se brûlant les doigts dans l'eau trop chaude, il enduit, à plusieurs reprises, la brosse de savon. Ces opérations sont accomplies silencieusement, méthodiquementy, lentement. A l'évidence, elles sont importantes. Si importantes que Zao Wou-Ki ne puisse les confier à un assitant ? La réponse est instantanée : "Un assistant ? Pas d'assistant. Jamais. Je ne veux pas de quelqu'un qui vienne me surveiller dans l'atelier. "On objecte que ce ne serait pas une surveillance. "Si. Je ne veux pas. J'ai toujours travaillé seul."
C'est aussi pour cette raison qu'il travaille souvent par triptyque : parce que, seul, il ne pourrait pas déplacer de trop longs et lourds châssis. Il y a quelques années, cette habitude de la solitude lui a valu une chute d'échelle et plusieurs mois d'inactivité. Il lui en reste des douleurs, mais à 82 ans, Zao Wou-Ki passe toujours ses journées dans son atelier, au dernier étage d'un bâtiment construit à partir d'une petite usine. Dela rue, on ne voit q'un grand mur blanc sans fenêtre : l'éclairage est zénithal, à travers une verrrière qui couvre presque la totalité de l'atelier. On n'y entend aucun bruit, on n'y voit que le ciel.
A l'étage en dessous, son épouse et son secrétaire travaillent. Depuis une décennie, expositions et collectionneurs se multiplient, notamment en Asie. A Taïwan, un amateur, Victor Ma, a acquis une centaine d'œuvre et veut créer une fondation. Récompenses internationales, envolée de la cote, commandes pour des bâtiments construits par son ami et compatriote l'architecte Ieoh Ming Pei : autant d'événements qui font de Zao Wou-Ki un artiste de plus en plus recherché. Il faut administrer et contrôler tout cela. Mais pas question qu'il s'en charge. Lui est en haut, seul, hors du monde, avec un peu de musique et son oeuvre.

Tous les jours - "j'ai un emploi du temps d'ouvrier" - le même processus de recherche et d'expérience recommence. Il le décrit, à propos du triptyque en chantier : "Je ne sais pas ce qui va se passer. Là, j'ai commencé par un rouge, parce que.. Sans doute parce que le rouge est une couleur difficile. "Il dit "le" rouge, mais il y en a plusieurs, d'intensité et de densité variables et sur la droite, une zone rose vif. "Le rose est venu après ?" "Non, non, en même temps…Le violet aussi." "Et maintenant ?" "Maintenant ? Je ne sais pas." Il rit brièvement. "Je ne sais jamais. Alors je suis là, je regarde le tableau, il est en examen… Ca peut durer longtemps, une journée, jusqu'à ce que je trouve une solution. Une bonne. Parce que, sinon, j'efface."

Art du vivant encore bruissant

Après un certain temps - "je peins lentement" - la toile est retournée contre le mur. "En principe, ça veut dire qu'elle est finie. Mais, en fait, je la laisse surtout reposer. Parce que, après, je retouche toujours. "Il raconte en riant doucement que cette façon de peindre exaspère les photographes. Ils reviennent, elle a changé. "Evidemment, ils sont furieux." Quand juge-t-il une peinture vraiment achevée , La réponse est immédiate : "Quand je ne peux plus rien lui ajouter…Mais ça peut prendre beaucoup de temps, parce que j'ai des doutes…Mais, si on n'a pas de doutes, la vie est un peu ennuyeuse, non ?
La sienne ne l'a pas été : de ses études aux Beaux-Arts de Hangzhou, dans les années 1930, à sa décision de quitter la Chine pour la France ; de la traversée de Shangaï à Marseille à l'installation à Paris, en 1948, alors qu'il ne parle pas un mot de français. Un an après, venant d'obtenir un premier prix de dessin, il ne reconnaît pas son numéro- "le 97", se souvient-il-qu'appellent les deux juges, André Lhote et Marcel Gromaire, alors son voisin lui fait signe de se lever.
Les dessins de cette période de formation sont restés des années dans la cave de sa maison et, aujourd'hui encore, il ne les montre qu'à contre cœur, par terre, dans une réserve. Ils en valent la peine, car, si l'on y reconnaît les influences de Cézanne et de Matisse, on y trouve aussi une vigueur de trait et un sens de l'abréviation des formes qu'il a développés depuis. "Je travaillais à l'encre, avec un bambou très appointé", raconte-t-il en mimant le geste du bras.
De ces dessins de nus en quelques lignes et pointillés aux signes qui ont proliféré dans ses peintures, la distance n'est pas si grande. Pas plus qu'entre ses premiers tableaux à l'huile et les plus récents : en dépit des différences de format et de geste, c'est le même espace qui paraît se creuser et s'approfondir et que traversent des courbes et des entrelacs. En 1949, il restait dans ces œuvres des traces de figuration : arbres, architectures ou chevaux indiqués par des pictogrammes très fins. Ils ont disparu et depuis lors, Zao Wou-Ki est tenu pour un abstrait.
L'écrivain Henri Michaux, son ami depuis 1950, n'en a pas moins observé, en 1980, que son art contenait "le vivant encore bruissant" et la "présence ressentie de l'ancienne perspective aérienne". Ce qui ne fait aucun doute : la nature, ses éléments, ses forces, ses souffles et ses humeurs vivent dans son oeuvres. Abstraites, si l'on y tient, mais physique et panthéiste surtout. " Dans la Chine impériale, la peinture était considérée comme une chose de luxe qui ne pouvait être commerciale.
Le peintre donnait ses œuvres et l'empereur lui donnait des terres ou des maisons. La peinture était une activité très noble, vraiment comme la poésie."

Philippe Dagen

Imprimer | Retour