Pierre VERITE

(né en 1900)

Voilà quarante ans déjà que j'ai rencontré Pierre Vérité, c'était, je crois, vers l'année 1934, le sculpteur Etienne Martin m'avait parlé de lui sous le double aspect du peintre et de l'amoureux de l'art africain, qu'il vendait à cette époque. C'est par la peinture que le contact s'établit entre nous, puis parallèlement j'entrais grâce à lui plus profondément à l'intérieur de cet art si surprenant de l'Afrique. Je me souviens toujours de sa petite boutique de la rue Huygens tenue par sa femme ; cette boutique était minuscule, écrasée par de hauts immeubles et coincée dans l'angle de l'un de ceux-ci, comme si les bâtisseurs avaient oublié de combler ce vide. Je parle de sa boutique car elle était dans ce quartier Montparnasse comme sortie de sa peinture du moment, chez lui, rue Delambre, dans ce merveilleux logement où le dédale des pièces superposées donnait là aussi toute la personnalité de Pierre Vérité. A cette époque, il était attiré par les quartiers populaires, la proche banlieue et justement tout ce qui dans un coin d'une rue était oublié ou humble. Ce qui m'avait frappé c'était toute la poésie de la tristesse et de la désolation que Vérité introduisait avec une force picturale qui lui évitait d'exprimer un sentiment de pitié mais l'authenticité humaine de la misère de ces endroits où le petit peuple vivait péniblement. Ces habitants créaient malgré eux une poésie qui leur appartenait, avec le bistrot du coin, les chanteurs des rues, perdus dans le no man's land des terrains vagues où se dressait une maison seule et délabrée flanquée d'un arbre rabougri, un chantier de construction en activité ou abandonné. Ces mêmes habitants gardaient malgré tout leur individualité et c'est bien ce que Pierre Vérité exprimait avec toute sa ferveur et la faculté qu'il avait d'une belle transposition picturale. Puis la guerre nous éloigna l'un de l'autre pendant quelques années. A mon retour à Paris, je le revis ; il n'avait aucunement perdu cette magie qu'il savait introduire dans l'expression de la misère des banlieues, mais son évolution s'était muée dans un langage nouveau où son expression plus abstractisée peut-être nous montrait des forêts sombres et extraordinaires où cette solitude des rues se transformait en un grand silence aussi angoissant mais pas désespérant des profondeurs de la forêt, où seule la musique du bruissement des branches donnait l'envie d'y pénétrer et de s'y perdre. C'était des forêts de grands sapins ou d'arbres imaginés, mais cependant, dans des forêts de grands sapins ou d'arbres imaginés, mais cependant, dans des forêts du Grand Duché du Luxembourg, j'ai revu et ressenti le même mystère plastique et pictural. Vérité, par l'allongement étonnant des fûts de ces arbres, par le labyrinthe, par un entremêlement et une hauteur inimaginable de ceux-ci, donnait cette impression légendaire ainsi qu'une musicalité, presque une mystique. C'est au détour d'un arbre que la rencontre de Merlin l'Enchanteur, de Perceval à la quête du Graal paraissait possible. Cette œuvre est variée, aucune de ses grandes forêts ne se ressemblant tout à fait, elles sont picturalement réalisées dans un enchantement de couleurs, mais où la couleur et la mélanger, comme aujourd'hui où ceci est pratiqué dans une pure spéculation de l'intellect ou de la dérision. C'est donc en 1950 que Vérité fait son exposition à la Galerie Jeanne Bucher où il réunissait toutes ses recherches du moment. On a dit qu'il s'arrêta de peindre pour se consacrer entièrement à sa passion des arts africains, grec, égyptien, etc…, je n'en crois rien, même s'il a moins réalisé d'œuvres picturales pendant cette période car son amour des arts ci-dessus cités était pour lui une créatyion, un enrichissement, une identification entière à l'ombre de ceux-ci, ce qui a amené Vérité à de magnifiques dessins où les forêts se sont transformées en des grues et tours entremêlées, les forêts du monde moderne où il apporte la même magie, car fidèle à lui-même, il nous montre de nouveau la vigueur de ces grandes machines ajourées crevant le ciel comme d'immenses et inquiétantes sauterelles et qui se dressent toujours sur ces chantiers qu'il a tant aimés. La désolation et le dédale sont encore là, mais Vérité a bien senti qu'il fallait vite tirer de ces grues et de ces tours inachevées tout le potentiel d'irréalités et de poésie dans un graphisme aigu, avant que d'affreuses architectures viennent écraser Paris et sa banlieue et faire disparaître cette misère dorée, si je puis dire, de jadis pour la remplacer par une autre misère où les habitants de maintenant n'ont plus la force de communiquer et d'aimer. Je pense que l'œuvre de Vérité est le témoignage poétique de ce temps à travers toutes ses mutations. Je crois aussi qu'il est le témoin dans son évolution picturale de l'intensité dramatique des terrains vagues, du marché aux puces et de la petite banlieue ; il passe des forêts solitaires totalement imaginées aux grues et bâtiments en d'autres forêts d'une autre légende.

J. Bertholle (1975)

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